Une saison à l’alpage : « Ici, tout nous paraît plus beau »
En ce matin d’été, à l’Alpage de la Moesettaz, au Brassus (VD), le jour n’est pas encore levé. Depuis un moment déjà, le feu crépite sous les chaudières remplies de lait chauffé. Il règne un calme absolu pendant que Martial Rod découpe le caillé. La pâte se forme, promesse d’un alliage de saveur et de souplesse. Entre deux gestes au cordeau, l’alpagiste nous raconte son amour pour la vie dans ce coin de pays et ses herbages fleuris.
«Produire du Gruyère d’Alpage AOP me rend fier. C’est une tradition qui me tient à cœur.»
Martial Rod, fromager à l'alpage de la Moesettaz
Martial Rod, à l’alpage, vous êtes pour ainsi dire un « fromager saisonnier » ?
Si vous voulez ! J’élabore du Gruyère d’Alpage AOP chaque jour de mai à octobre, le plus souvent en compagnie de mon fils Yannick. À 4 heures du matin, quand il sort les vaches, je trempe les meules de la veille dans le bain de sel. Nous nous mettons ensuite à fabriquer avec le lait du soir précédent et celui du matin. Le mise en caille se fait à 5h30. Pour confectionner nos quatre meules quotidiennes, nous en avons jusque vers 10h. Ensuite, nous passons au local d’affinage. De la traite des vaches à sa fabrication, il n’y a pas de robot chez nous ! Nous élaborons du Gruyère AOP ! Les frotter chaque jour nous permet de suivre l’évolution des meules : c’est important pour un produit vivant. L’élaboration compte pour 50% du résultat ; le reste se passe pendant l’affinage.
Qu’est-ce qui distingue le Gruyère d’Alpage AOP d’un Gruyère AOP de plaine ?
L’élaboration du Gruyère d’Alpage AOP obéit à des règles spécifiques : le lait est chauffé au feu de bois, le décaillage se fait manuellement et les meules sont pressées dans des toiles de chanvre. Elles pèsent entre 25 et 30 kilos. En fin de matinée et le soir, nous les retournons à la force des bras. Avec l’automatisation, les jeunes fromagers ne sont plus habitués à ce geste traditionnel.
Nos vaches paissent dans des pâturages gras, qui présentent une belle diversité florale et du joli trèfle. La qualité du lait et le goût du Gruyère AOP s’en ressentent, avec un petit goût de noisette. J’évite l’excès de sel dans la fabrication précisément pour aviver cette saveur fruitée. Mais cela dépend aussi des étés : cette année est très fleurie. En comparaison, l’an dernier, nous avons dû nourrir nos vaches au fourrage sec principalement, tellement il a manqué d’eau.
Votre Gruyère d’Alpage AOP a reçu plusieurs récompenses…
La dernière récompense en date est celle de meilleur fromage à pâte dur au concours des fromages d'alpage de l'OLMA, la foire suisse de l'agriculture et de l'alimentation à St-Gall. C’était en 2023. Mon Gruyère d’Alpage AOP a également reçu la distinction quinquennale de meilleur Gruyère d’Alpage AOP de l’IPG en 2019 et en 2017, il a été élu Gruyère AOP d’Etat dans le Canton de Vaud. Je suis fier de ces distinctions car d’une part, elles témoignent de la qualité d’un savoir-faire traditionnel qui me tient très à cœur, et d’autre part, elles confirment les investissements consentis à l’alpage pour fabriquer et pour affiner.
La saison est courte, quels en sont les temps forts ?
La montée à l’alpage en mai et le retour en octobre sont des rituels que nous vivons en famille, avec nos amis et ceux de nos 3 enfants. Le retour est gai, mais l’aller est encore plus léger ! Ici, tout nous paraît plus beau qu’en plaine : c’est l’endroit idéal pour notre bétail et le contact direct avec la nature nous remplit d’une bonne énergie. Je ne nous verrais pas vivre autrement. Peut-être parce je suis né dedans, avec mon père qui était déjà fromager d’alpage.
Vos enfants reprendront-ils votre suite ?
C’est le souhait de tout le monde ! Mon aîné a son diplôme d’agriculteur en poche et connaît déjà la fabrication du Gruyère AOP. Le second est en apprentissage. Plus tard, ils se partageront l’exploitation et le chalet d’alpage. D’ici là, j’espère que l’exportation de Gruyère AOP sera repartie à la hausse, ! Le maintien de la production – ou même son augmentation – sera sûrement un de leur défi. Ma fille a choisi un autre chemin, mais ma petite-fille s'épanouit pleinement parmi les animaux à l'alpage ; la relève est assurée !
Quels sont vos liens avec l’IPG ?
Je représente le Gruyère d’Alpage AOP parmi les taxateurs. C’est comme ça que je sais que les 20 points ne sont pas attribués qu’aux Fribourgeois ! (rires) Plus sérieusement, cette expérience m’a beaucoup appris, notamment ce que je devais améliorer dans la fabrication et dans l’affinage.
Une saison en chiffres:
- 40 vaches laitières et 5 pensionnaires
- 178 000 kilos de lait transformé en Gruyère d’Alpage AOP et fromage à raclette
- 40 stères de bois pour chauffer les chaudières
- 500 meules produites, soit 16 tonnes de Gruyère d’Alpage AOP