Connaître le travail des autres acteurs de la filière pour mieux collaborer.
L’IPG a mis sur pied un projet pilote sous forme de rencontre pour renforcer le sentiment d’appartenance à la filière : trois demi-journées, la première chez un affineur, Fromco à Moudon, la deuxième chez un fromager, Didier Germain de la fromagerie des Ponts-de-Martel et la dernière chez un producteur de La Sagne, Romane Botteron. Ce projet intitulé « A la rencontre de la filière » s’inscrit dans la continuité de l’étude stratégique, menée par le cabinet Triesse-Gressard entre septembre 2019 et avril 2022.
« L’interprofession est une communauté d’intérêts autour d’un même produit. »
Alexandre Horner, formateur mandaté par l'IPG
Cette première édition s’est déroulée dans le canton de Neuchâtel. 58 membres de la filière ont participé à l’une des 4 sessions. « L’interprofession est une communauté d’intérêts autour d’un même produit, relève Alexandre Horner qui a mis en place la formation. Les membres ne sont pas réunis par profession, mais autour d’une même cause, le Gruyère AOP. ll est donc essentiel de connaître ses partenaires pour mieux comprendre les décisions prises dans le cadre de l’IPG. Aujourd’hui, les paysans vont de moins en moins couler à la laiterie. Et ils n’ont pas de contacts particuliers avec les affineurs. Ces rencontres ont permis aux uns et aux autres de se côtoyer, de comprendre les exigences de qualité et les contraintes que chacun doit respecter. »
Lors de ces rencontres, Alexandre Horner a mis l’accent sur le rôle et la gouvernance de l’IPG, en évoquant notamment des thèmes comme le marketing, le marché, la gestion des quantités et de la qualité. « Le but de ces demi-journées était d’enrichir le sentiment d’appartenance à la filière, de mieux se respecter les uns les autres pour mieux collaborer. » Le défi est de taille, puisque la filière se compose aujourd’hui de plus de 2000 indépendants pour près de 5000 emplois. Il est donc essentiel de provoquer des rencontres. « Ce qui est commun entre les acteurs qui ont accueilli les participants, c’est la passion. La passion de l’affineur, du fromager et du producteur », se souvient le formateur.
Première demi-journée, visite des caves d’affinage de Fromco. Les participants l’ont particulièrement apprécié, puisqu’ils n’ont pas la possibilité d’accompagner le produit jusqu’à cette étape. C’était donc une occasion rare de pouvoir échanger avec un professionnel de l’affinage. Jean-Marc Collomb, ancien directeur de Fromco, a accueilli les participants. « Pour moi, l’important est que chacun connaisse le métier de l’autre, ait conscience des défis et des difficultés de chaque activité. On dit souvent que l’affineur n’a qu’à vendre. Ce n’est pas si simple. Il y a de risques que seul l’affineur assume. J’ai beaucoup aimé ces rencontres, on a pu aborder des questions de fond. »
Une semaine plus tard, les participants ont pris la route des Ponts-de-Martel pour visiter la fromagerie de Didier Germain. « J’ai mis l’accent sur le savoir-faire lié aux cultures et sur le rôle du fromager dans la fermentation lactique. On en parle très peu, bien que ce soit le cœur du produit. J’ai eu un énorme plaisir à rencontrer ces professionnels, car ils étaient curieux, intéressés et ils se rendaient compte des implications de chacun. Ça m’a enthousiasmé. J’ai relevé une question qui est symptomatique : pourquoi le fromager est-il fâché quand les producteurs viennent couler tard ? Ce n’est pas parce qu’il veut aller à l’apéro le plus vite possible. C’est parce que le processus est déjà en route et une fois que la fabrication du fromage a démarré, c’est elle qui décide du rythme. »
Romane et Meryl Botteron ont fait visiter leur domaine aux 4 groupes, composés de fromagers et de producteurs de lait. Ils leur ont montré le bétail laitier et les veaux, les installations techniques, le local de traite, le robot racleur. « Nous avions à cœur de présenter une exploitation qui valorise au mieux les herbages. Nous avons mis l’accent sur la qualité du fourrage de base qui constitue le lien au terroir et qui permet de produire un lait de qualité à un prix abordable. Chez nous, 90 % de l’herbage que consomme notre bétail provient de notre exploitation. Nos vaches laitières ne reçoivent que 10 % de concentré pour équilibrer et optimiser la ration. L’année passée, on était presque autonomes, on les a nourries quasiment en circuit fermé. Idem pour les éléments fertilisants issus presque uniquement de l’exploitation, en valorisant ainsi au mieux nos engrais de ferme sur nos prairies naturelles. La réelle durabilité. »
Eve Chédel et Marlène Guenat, toutes deux productrices de lait aux Bayards pour la fromagerie Duo-Vallon ont participé à ces rencontres pour mieux connaître la structure dont elles font partie : « Quand je me lève le matin, je sais bien que je suis seule à devoir m’occuper de mes bêtes, sourit Eve Chédel. Mais j’ai conscience d’être un rouage et que mon exploitation fait partie d’un tout qui doit fonctionner. Comme je fais partie du comité de la Société de laiterie, il y a des thèmes qui viennent sur la table tout au long de l’année. Grâce à ces rencontres, je peux mieux les placer dans le contexte. »
Quant à Marlène Guenat, qui est aussi secrétaire de la fromagerie Duo Vallon, elle suit de près ce qui se passe à l’IPG. C’est donc tout naturellement qu’elle s’est inscrite à cette formation, tout comme sa fille et son fils qui travaillent sur le même domaine. « J’ai apprécié de faire la connaissance d’autres agriculteurs et de mieux comprendre le déroulement du travail du fromager et de l’affineur et la réalité qu’ils vivent au quotidien. J’ai notamment été surprise d’apprendre que les affineurs savaient pratiquement une année à l’avance la quantité de fromage qu’ils allaient vendre. »
Tony Blättler, producteur de lait bio aux Sagnettes est le jeune président de la Société de laiterie depuis le 1er janvier de cette année. Participer à ces rencontres était pour lui l’occasion d’acquérir une certaine expérience et de connaître les différentes étapes de la fabrication de notre pâte dure. « Je ne pensais pas qu’il y avait autant de Gruyère AOP provenant d’autant de fromageries différentes dans une seule cave d’affinage, comme c’est le cas chez Fromco ! J’ai eu la chance de visiter la société Margot SA en privé et de pouvoir comparer les deux systèmes d’affinage très différents. » Tony Blättler a aussi apprécié d’avoir des échanges entre producteurs et fromagers : « À la Brévine, l’hiver est rigoureux, il fait froid. Ces rencontres ont constitué une pause appréciable à ce moment-là de l’année. Toutes les semaines, on allait faire une demi-journée à un autre endroit, ça m’a permis de sortir du travail, et de découvrir d’autres réalités. »
Pour Yann Aeby, producteur de lait pour la fromagerie de La Brévine, ces rencontres ont aussi été constructives : « Durant la bonne saison, on prend peu le temps de discuter avec les autres. Ces demi-journées nous ont permis de voir des collègues et d’échanger au-delà des cours qui se sont prolongées par un repas. Les discussions étaient riches. On sentait qu’on était tous sur le même bateau. J’ai aussi pu remarquer combien l’interprofession est utile. C’est un travail peu reconnu par certains qui ne connaissent pas les coulisses. »
Héloïse Aegerter, productrice de lait pour la fromagerie de La Brévine, a un cursus particulier, puisqu’elle est dans l’agriculture depuis seulement trois ans. « C’était pour moi une évidence d’y participer, car je n’avais pas encore de vision globale. On a visité une très belle fromagerie avec des explications très claires. Cela m’a permis de connaître tout le déroulement, pourquoi je coulais, avec qui je travaillais, comment le lait passe de liquide à solide. C’est vraiment devenu du concret pour moi. Ces rencontres m’ont aussi permis d’échanger avec des collègues, de créer des liens. Maintenant je me sens appartenir à ce groupe. Je me sens lié aux autres acteurs, on est une équipe ! »
Ces témoignages sont à l’image des résultats du sondage réalisé à la fin du cours. Le bilan positif de ce projet a convaincu l’IPG d’étendre cette démarche l’hiver prochain aux cantons de Vaud, Fribourg, Jura et Jura bernois. Elle proposera cette rencontre de la filière aux satellites l’hiver suivant. Il pourrait y avoir 25 sessions qui permettraient la participation de 500 membres de la filière, avec des groupes de 20 personnes.