La cohésion interne : une condition pour pérenniser la filière Gruyère AOP
Agriculteur dans les Montagnes neuchâteloises, Romane Botteron a longtemps porté la voix des producteurs de lait dans des commissions et au Comité de l’IPG. En marge de son retrait fin 2023, il évoque tour à tour 15 ans d’engagement, l’actualité et les perspectives de la filière.
« Notre filière est impactée par un contexte extrêmement volatile et complexe. La seule réponse viable est d’agir, au mieux, et au plus vite, avec un objectif partagé : celui de la pérenniser. »
Romane Botteron, producteur de lait, ancien délégué et membre du Comité de l’IPG
Romane Botteron, comment êtes-vous arrivé au Comité de l’IPG ?
J’ai obtenu ma maîtrise en 1998, quelques années après avoir repris le domaine familial et fondé ma propre famille. J’étais jeune, plein d’énergie, de rêves aussi. J’ai rejoint l’IPG en 2008, après avoir œuvré dans diverses sociétés et commissions du canton de Neuchâtel. J’ai été nommé délégué à l’assemblée des sociétés de fromagerie de notre fédération laitière pour remplacer André Aebi, membre fondateur de l’IPG, et à l’assemblée des délégués de l’IPG pour accéder au comité.
Ces rêves, quels étaient-ils ?
Le principal était tout à la fois grand et simple : amener le prix du lait à CHF 1.- le litre. Actuellement, il est fixé à plus de 94 centimes, voire à près d’un franc pour les laits à haute teneur et de super qualité. Il manque un petit bout… Logiquement, ma priorité était de défendre les intérêts des producteurs de lait. Mais j’ai vite saisi qu’il me faudrait voir plus large : quand le Gruyère AOP va bien, les producteurs vont bien, le Gruyère AOP est meilleur, les ventes, le prix du kilo de lait, et la réputation de notre produit aussi. C’est un cercle vertueux qui profite à tous les acteurs de l’économie laitière.
En quoi a consisté votre engagement ?
J’ai été membre du Comité, membre des commissions de qualité et de planification durant plus de 15 ans. J’assurais la transmission des informations de l’IPG aux producteurs de ma région durant les différentes assemblées de notre fédération laitière Prolait. C’est un rôle très important pour la compréhension mutuelle, insuffisamment honoré à mon avis. Avec ces fonctions, j’ai cumulé les séances et avalé les kilomètres. Je ne le regrette pas ; j’ai rencontré des personnes extraordinaires, animées par la volonté de consolider la corporation. J’ai croisé le fer quand je jugeais pertinent de le faire. Souvent, la meilleure décision était celle qui ne convenait à personne à 100%... J’ai toujours gardé le collectif en ligne de mire.
Quels gros dossiers avez-vous traités dans les commissions ?
En 2015, nous avons resserré les critères de qualité pour être plus incitatifs. Les effets ont été immédiats, si bien qu’aujourd’hui, la qualité du lait s’est nettement améliorée. Les 3 piliers que sont le producteur, l’infrastructure et le fromager sont extrêmement fiables. Malgré cela, il peut y avoir des problèmes de qualité difficiles à identifier. L’IPG soutient les fromageries concernées. Quant à la quantité, nous avons bataillé durant des années, au sujet des limites de production. En plus d’augmenter le risque sanitaire, les trop grandes exploitations qui n’arrivent plus à faire pâturer s’éloignent de l’esprit de l’AOP et des valeurs de l’IPG.
Quelles expériences ont marqué votre parcours à l’IPG ?
Je me souviens par exemple de la grève du lait de 2009. Le lait de central avait obtenu 2 fois 6 centimes d’augmentation. Nous, les producteurs de Gruyère, revendiquions une augmentation de 10 centimes au kilo de lait ou rien. Les affineurs, eux, avaient fixé leur plafond à 4 centimes. Nous avons tenu tête. Résultat : 0 centime sur le moment. Après cela, il a fallu 10 ans de négociation pour en recevoir 4… Grâce à cette expérience, j’ai compris que l’essentiel était de cerner les intérêts supérieurs selon le contexte. En l’occurrence, un consensus qui permette à toute la filière d’avancer main dans la main devait alors primer sur la défense des producteurs de lait.
Que souhaitez-vous à l’IPG ?
Comme toutes les branches, la filière est impactée par un contexte inédit, extrêmement volatile et complexe. La seule réponse viable est d’agir, au mieux, et au plus vite, avec un objectif partagé : celui de la pérenniser. La stabilité de prix est un avantage unique offert par l’IPG, à préserver. Pour cela, il faut de l’adhésion et de la conviction, au-delà des luttes de pouvoir. Les consommateurs aiment notre produit, nos valeurs et l’image que nous véhiculons. Les membres de l’IPG peuvent être fiers de leur travail et de leur filière. Il est urgent que la mollesse et les doléances cèdent le pas à la cohésion interne et à la détermination. Ce n’est qu’ainsi que l’IPG sera en mesure de prendre de grandes décisions afin de vivre avec son temps et d’aller de l’avant.